Entre intention et intuition : accéder à l’état de grâce créatif

état créatif

Créer, c’est chercher un équilibre mouvant.

D’un côté : l’intention.
Elle structure, elle oriente.
On pose un cap.
On mobilise ce qu’on a appris.

De l’autre : l’intuition.
Elle surgit. Elle déborde.
Elle emporte l’oeuvre là où on ne l’avait pas prévu.

Entre les deux, il y a cette bascule délicate que tant d’artistes redoutent ou recherchent avidement. 

Certain·es n’arrivent pas à lâcher.
Tout est sous volonté de contrôle.
Trop bien fait ou fait dans la peur de mal faire. 
Trop pensé.
Le geste est sec, l’image crispée.

D’autres n’arrivent pas à tenir la barre.
Ils commencent un dessin, se laissent emmener, dérivent, ne savent plus où ils vont.
Ils dessinent ou peignent “spontanément”, mais sans aucune direction.
Et souvent, ils s’y perdent.
Ils subissent leurs réalisations et confondent même parfois « spontanéité » et approximation.

Et puis il y a ces moments rares, fulgurants  où ça coule.
Le dessin se fait sans effort.
Le geste est juste.
On ne pense pas et pourtant tout fait sens.

C’est ce que j’aime appeler l’état de grâce.
D’autres l’appellent pilote automatique ou encore « le flow ».  

Alors, comment faire ?
Comment retrouver cet équilibre fragile où le faire se libère de la pensée, sans perdre ce qu’on a appris, sans oublier ce qui nous meut ?

Et surtout : peut-on provoquer cet état, ou faut-il juste l’attendre, comme on attend l’orage ou l’inspiration ?

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File:Carl Larsson – Self-Portrait (In the new studio) – Google Art Project.jpg – Wikimedia Commons

Deux régimes mentaux en tension

Chaque artiste en train de créer alterne, consciemment ou non, entre deux régimes mentaux :

  • Le mode analytique : celui de l’intention, du raisonnement, de la construction, du verbal. C’est lui qu’on mobilise quand on apprend, quand on corrige, quand on structure.

  • Le mode intuitif : celui de la perception globale, du ressenti, du geste qui précède la pensée. Il agit vite. Il associe. Il capte ce qui se dit sans mots.

L’un n’est pas supérieur à l’autre.

L’enjeu n’est pas de choisir  c’est d’apprendre à passer de l’un à l’autre, à reconnaître quand il faut poser un cadre, et quand il faut s’en éloigner.
C’est aussi d’apprendre à fusionner ces deux états pour qu’ils travaillent ensemble à une oeuvre à la fois conduite et spontanée. 

Ce que disent les scientifiques

Le psychologue hongrois Mihaly Csikszentmihalyi a consacré sa carrière à l’étude de l’expérience optimale, qu’il nomme le flow (sty-lay..) 

Dans Flow: The Psychology of Optimal Experience (1990), il décrit un état où la concentration et l’absorption sont absolues, la perception du temps modifiée et le jugement suspendu.

L’activité semble se dérouler d’elle-même, avec aisance et engagement total.

Mais, et c’est essentiel,  ce flow n’est pas un état de relaxation :

« Le flow surgit quand les compétences de la personne sont pleinement mobilisées pour relever un défi exigeant. »

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Flow Theory by Mihaly Csikszentmihalyi (1975)

Il faut donc que le niveau de difficulté soit parfaitement en adéquation avec les compétences. !

Trop facile, on s’ennuie.
Trop difficile, on se bloque, on crispe. 
Pile poil : on est à la fois totalement absorbé dans et totalement mobilisé par : l’action. 

C’est ce juste équilibre entre enjeu et compétence qui ouvre la porte à l’état de grâce.

Le neuroscientifique John B. Arden développe dans Rewire Your Brain (2010) une idée complémentaire.

Notre cerveau, dit-il, fonctionne selon des réseaux cognitifs, dont deux sont essentiels dans la création :

Le réseau exécutif (logique, planification, stratégie)
Le réseau par défaut (imagination, associations libres, mémoire affective)

Ces deux réseaux ne sont pas faits pour s’exclure, mais pour dialoguer.

C’est ce dialogue, entre structure et lâcher-prise, qui permet une création profonde et vivante.

L’état hypnagogique : entre veille et rêve

Un autre état modifié de conscience a fasciné de nombreux artistes : l’état hypnagogique.

C’est cette zone intermédiaire entre l’éveil et le sommeil, où surgissent des images flottantes, des pensées incontrôlées, des hallucinations brèves.

Salvador Dalí, obsédé par la captation de l’inconscient, avait mis au point une méthode pour exploiter cet instant de bascule : la méthode paranoïaque-critique.

Il s’installait pour une sieste assis dans un fauteuil, une cuillère en métal dans la main, posée au bord d’un plat retourné. Dès que le sommeil le gagnait, ses muscles se relâchaient, la clef tombait et le bruit le réveillait juste à temps pour capturer les images mentales apparues dans l’état hypnagogique.

Cette méthode a aussi été utilisée par Thomas Edison, qui tenait dans ses mains des billes métalliques : lorsqu’il s’endormait, elles tombaient dans un plat en métal, provoquant son réveil. Il notait alors ses idées surgies entre deux états de conscience.

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Salvador Dali dans son atelier

Ce moment fragile, entre relâchement et vigilance, peut devenir une source précieuse d’images et d’intuitions créatives — si l’on apprend à y tendre consciemment.

Ce que disent les artistes

Les créateurs ont toujours décrit, chacun à leur manière, cette bascule intérieure.

Beaucoup parlent de sérendipité :
Cette capacité à découvrir ce qu’on ne cherchait pas, à accueillir l’accident, à écouter ce qui surgit dans le geste.

Francis Bacon :

« Je crois que l’accident a un rôle très important, même dans les inventions scientifiques. »
« Je veux que le tableau me dépasse. »

Pour lui, ce sont parfois des coulures, des distorsions imprévues, qui déclenchent un tableau.
Ce n’est pas du hasard, c’est un hasard organisé, cultivé.

Agnes Martin parle d’états intérieurs plus que de composition :

« When I think, everything is lost.»

Elle cherche une vibration intime, une sensation stable, et peint avec une régularité presque méditative.
Le corps devient canal.

Paul Klee évoque un art qui rende visible ce que l’on ne voit pas encore.
C’est dans le tracé, dans le mouvement, que l’idée émerge.

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l’atelier de Francis Bacon


Chez tous, on retrouve :

– une attention fine à ce qui émerge sans être contrôlé,
– une confiance dans le corps qui sait avant l’esprit,
– une ouverture à l’inattendu, sans céder à la dispersion.

Tous décrivent un moment où le geste prend le relais de la volonté,
où le faire se libère de la pensée. 

Créer, ce n’est pas choisir entre contrôle et abandon.
C’est entrer dans une danse vivante entre cadre et liberté.

Apprendre à marcher avant de danser

On ne bascule pas dans l’intuition féconde par hasard.
C’est un processus.

Vous connaissez les quatre étapes de l’apprentissage de toute nouvelle compétence ?

c’est un modèle en 4 étapes  formalisé dans les années 1970 par Martin M. Broadwell et Noel Burch,  à la Gordon Training International.

  1. Inconsciemment incompétent : je ne sais pas que je ne sais pas faire 

  2. Consciemment incompétent : je sais que je ne sais pas faire 

  3. Consciemment compétent : j’applique, mais c’est lent, laborieux

  4. Inconsciemment compétent : les outils sont intégrés, le geste devient libre

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les 4 étapes de l’apprentissage

C’est à ce quatrième stade que l’intuition peut agir sans défaire.

Edgar Degas disait : 

« Ce n’est que lorsqu’il ne sait plus ce qu’il fait que le peintre fait de bonnes choses »

On ne lâche pas ce qu’on a appris. 
On s’appuie dessus, sans avoir besoin d’y penser.
On le mobilise inconsciemment. 

Nous avons d’ailleurs fait une vidéo à ce sujet ! 

Quand l’ intuition déborde l’intention

Il arrive que la spontanéité et l’intuition emporte tout.
Que l’on perde le fil de son projet.
Que l’on finisse très loin de son intention initiale, sans toujours comprendre comment.

Symptômes fréquents :

  • Sensation d’avoir “perdu” le projet en route
  • Image finale très éloignée de l’idée de départ
  • Impression de s’être laissé embarquer par la main
  • Difficulté à nommer ce qu’on a fait ou voulu faire
  • Frustration mêlée à excitation confuse

Photos: Kansas City babies in diapers crawl around with paint | Kansas City Star

Quelques clés pour ré-ancrer l’intention :

1. Revenir à la note d’intention.
La relire, la reformuler, en dégager un mot-clé.
Cela permet de ne pas juger le dessin, mais de rouvrir la question de départ.

2. Observer ce qui a émergé.
Sans juger. Noter ce qui s’est déplacé.
Quels gestes, formes ou valeurs ont pris le dessus ?
Est-ce une fuite ou une trouvaille ?

3. Dialoguer avec ce qui est là.
Plutôt que corriger, voir comment l’image actuelle peut entrer en résonance avec l’intention première.
Une deuxième couche, un nouvel axe, une mise en tension.

4. Accepter que l’oeuvre enseigne.
Parfois, ce qui surgit sans contrôle révèle un désir plus profond.
L’intention initiale n’est pas à rejeter, mais à faire dialoguer avec l’intuition réalisée.

Quand l’intention prend toute la place

À l’inverse, il arrive que l’intention devienne tyrannique.
Que tout soit prémédité, contenu, contrôlé.
Et que rien ne respire.

Symptômes fréquents :

– Geste sec, raide, sans souplesse
– Sensation d’ennui ou d’asphyxie en dessinant
– Incapacité à s’autoriser un écart ou une improvisation
– Survalorisation du résultat par rapport au processus
– Difficulté à être surpris par sa propre image
– sentiment de ne pas être créatif ou imaginatif

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Quelques clés pour libérer l’intuition :

1. Introduire du jeu.
Changer d’outil, de format, de main.
Travailler en aveugle, ou sans gomme.
Explorer un matériau moins maîtrisé.
Détourner la consigne.

2. Changer de posture.
Dessiner debout, en musique, en grand format.
Faire bouger le corps peut faire bouger la pensée.

3. Accueillir l’accident.
Plutôt que de corriger, regarder ce qu’un accident peut suggérer.
Inverser les formes, explorer les tâches.

4. S’autoriser des essais sans enjeu.
Faire plusieurs versions.
Enchaîner des brouillons.
Créer un “terrain d’essai” où rien n’est à sauver.

5. Revenir au plaisir sensible.
Sentir le trait, le papier, l’encre.
Se reconnecter aux sensations pas à la réussite.

En résumé

L’état de grâce n’est pas un mythe.

C’est un état qui se rend possible, quand on accepte de faire dialoguer intention et intuition.

Il y a des jours où l’on apprend et l’on construit.
Des jours où l’on laisse venir.
Et parfois, des jours où les deux s’accordent.

Intention et Intuition chez un autre atelier.

Chez un autre atelier nous vous donnons des outils solides pour développer votre intention et forger votre technique. 
Mais nous tachons toujours de vous aider à revenir à VOUS et à votre intuition. 

=> en vous proposant des exercices parfaitement calibrés à votre niveau pour susciter cet état de flow

=> et en vous montrant des artistes qui s’affranchissent des règles techniques et théoriques pour expérimenter

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c’est tout pour cette semaine ! 
A bientôt sur le blog d’un autre atelier. 

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