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Synthétiser pour mieux dessiner

Le mois dernier, j’ai proposé à la communauté un bonus créatif autour du peintre américain Ellsworth Kelly.
 
Crédit photographie : Fondation Louis Vuitton et fondation Ellsworth Kelly
 
Si vous êtes amateur de figuration, de réalisme ou de narration, l’univers d’Ellsworth Kelly, fait de formes géométriques épurées et d’aplats de couleurs franches, peut sembler déroutant, voire difficile à apprécier au premier regard.
 
Ellsworth Kelly - sculptures on the wall
 

Pourtant, même si son esthétique ne vous touche pas directement, Kelly a beaucoup à nous transmettre. 

Car au-delà du style minimaliste, c’est sa démarche d’observation, de simplification et de synthèse qui en fait un véritable guide pour tous ceux qui dessinent.
Et ce même si vous aimez le réalisme, les détails, et la précision.

Mais pour cela, il faut d’abord dépasser certains malentendus fréquents.

Car le travail de Kelly, forgé d’épure et de silence, est souvent victime de  jugements trop rapides.
 
Prenons un moment pour démystifier ces  idées reçues et découvrir ce qu’il peut apporter à notre pratique du dessin. 

1. L'art de la simplicité

  “Des rectangles de couleur ? Des formes géométriques ?
Pfff…Un enfant pourrait le faire ”
 
C’est probablement le reproche le plus courant adressé à l’œuvre d’Ellsworth Kelly, et à bien d’autres artistes abstraits ou minimalistes d’ailleurs. 
 
Ce jugement repose sur l’illusion que la simplicité est synonyme de facilité.

La simplicité est l'aboutissement d'un long processus

Chez Kelly, la simplicité est le résultat d’un processus complexe qui demande patience, exigence et une compétence précieuse : celle de synthétiser. 
 
Kelly n’a jamais improvisé ses formes.
Il partait de l’observation rigoureuse du réel : l’ombre d’un feuillage, le bord d’une façade, une découpe de lumière sur un mur.
Puis il dessinait, photographiait, découpait, sélectionnait.
 
Et il en produisait une synthèse  :
  • il éliminait les détails anecdotiques
  • il réduisait la forme pour en extraire l’essence
  • il choisissait la couleur juste, la proportion juste, la tension entre vides et plein.

synthétiser dessiner

 
L’art de Kelly peut sembler facile ou vide à ceux qui recherchent une narration, mais il repose sur une compréhension aiguë de la forme et de l’espace.

La simplicité est souvent ce qu'il y a de plus difficile à trouver

Kelly ne cherchait pas à faire « simple » pour être décoratif,  il cherchait à éliminer tout ce qui brouille la perception, à retirer tout ce qui est superflu.
C’est un exercice de lucidité radicale. 

Ce qu’il cherchait, c’était une vérité visuelle dépouillée. 

synthétiser dessiner
Ellsworth Kelly – sketchbook
Et cette exigence n’est pas propre à l’art abstrait.
Dans le design, c’est d’ailleurs un principe fondamental : ne garder que l’essentiel.
 
 
cette citation attribuée à Léonard de Vinci, a été très souvent reprise par Steve Jobs pour définir le design d’Apple.
 
Ellsworth Kelly, comme un designer, effectue un travail de sélection et d’épure. 
Ce tri visuel demande une conscience aigüe et une grande  virtuosité technique.
 

Et les artistes aguerris le savent bien. 

synthétiser dessiner

 

ce que cela nous enseigne à nous dessinateurs

=> Que simplifier, ce n’est pas “en faire moins”, c’est voir avec plus de clarté et de profondeur. 

=> Que réduire et retrancher demandent autant d’attention et de virtuosité que de détailler 

=> Et que cette clarté visuelle est une compétence essentielle pour capter et traduire l’essentiel 

2 absence de récit n'est pas absence de sens

Le fait que Kelly évite toute symbolique ou narration peut pousser à croire que l’oeuvre ne dit rien.

Et effectivement, Kelly ne cherche pas à transmettre un message,  mais absence de récit ne veut pas dire absence de sens. 
Une œuvre n’a pas forcément besoin de « dire » quelque chose pour résonner fortement.
 
Comme John Cage, Brancusi ou Kandinsky, Ellsworth Kelly veut produire une expérience sensorielle directe.
Son objectif n’est donc pas de s’exprimer mais de créer les conditions d’une expérience sensible. 
 
Kelly voulait que l’on voie ses œuvres comme des présences autonomes, et non comme des représentations, des descriptions, des narrations ou des métaphores.
 
L’oeuvre est un espace d’attention. 

La simplicité comme langage universel

Dans cette logique, la forme pure devient langage : un langage universel, presque spirituel, qui fait résonner la couleur, la lumière et l’espace.
 
synthétiser dessiner
 
C’est aussi la conviction de Kandinsky, qui voyait dans l’abstraction un moyen de traduire la vibration du monde et d’atteindre la vibration intérieure du spectateur.

Ce que cela nous enseigne à nous dessinateurs

=> Qu’une oeuvre peut faire ressentir sans raconter.

=> Que la matière du dessin et de la peinture ( trace, forme, couleur, ) est un langage autonome 

=> Que le silence d’une image est parfois plus puissant qu’un long et beau discours. 

3 une maîtrise technique humble

C’est une critique classique envers l’abstraction géométrique : “S’il ne montre pas de dessin figuratif, c’est sûrement qu’il ne sait pas dessiner.”
 
Mais cette remarque repose sur un malentendu profond :
Maîtriser un langage visuel ne signifie pas l’étaler. 
 
La maîtrise technique c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale 
 

Enfant, Kelly partait dans de longues sessions d’observation dans la nature avec son grand-père ornithologue et dessinait les oiseaux. Il y a développé une sensibilité aiguë aux formes naturelles. 

synthétiser dessiner

 
Il a ensuite reçu une formation académique solide à l’ École des Beaux-Arts de Boston, puis de Paris, où il a pratiqué intensivement le dessin d’observation.
 
synthétiser dessiner
courtesy Blanton museum of Art
 

Savoir dessiner c'est savoir quoi et comment dessiner

Un bon dessinateur n’est donc pas celui qui utilise tout son arsenal technique, c’est celui qui adapte ses moyens à son intention.
 
Dans les plants drawings, on perçoit d’ailleurs nettement sa grande assurance de trait et la finesse de son observation. 
 
Plants drawings - Ellsworth Kelly
 
La technique n’est pas une fin en soi c’est un répertoire à activer avec discernement et authenticité.
 
Montrer qu’on sait tout faire, c’est séduire et se diluer. 
Choisir ce qu’on fait, c’est s’ exprimer de manière singulière. 
 
Matisse nous disait dans ce sens :
 
 
Kelly renonce volontairement à la virtuosité visible. 
Ce n’est pas un manque :
c’est une décision esthétique forte.

ce que cela nous enseigne à nous dessinateurs

=> Qu’on n’a pas besoin d’envoyer tout notre arsenal technique à chaque dessin

 

=> Que le style émerge  dans le choix, pas dans l’étalage ou la démonstration.

4 Une sensibilité silencieuse

Parce qu’il utilise des formes nettes, peu de matière, aucune trace de geste, Ellsworth Kelly est souvent opposé aux autres artistes abstraits dits “expressifs” comme Rothko, De Kooning ou Pollock.
 
Son travail peut sembler dénué d’émotion, trop rigide, trop froid, trop contrôlé. 
 
Mais l’émotion et la sensibilité ne s’expriment pas uniquement dans le bruit et le geste vif. 
 
Chez Kelly, l’émotion est canalisée, pudique et humble. 
Ce n’est pas une géométrie froide, mais une présence silencieuse.
 
synthétiser dessiner
 

ce que cela nous enseigne à nous dessinateurs

=> Que la force d’un dessin ne vient pas toujours de la vigueur du geste.

=> Que la présence d’une oeuvre peut naître d’un rapport minutieux entre les formes et les vides qui les accompagnent.

=> Que peser ses traits c’est comme peser ses mots.  
Le charisme n’est pas réservé aux bavards. 
 
 

Simplifier pour mieux dessiner : une pratique accessible à tous

Même si l’esthétique radicale de Kelly semble éloignée de ce que vous recherchez , surtout si vous aimez la figuration, le réalisme et la narration , sa démarche peut toutefois vous apporter des outils très concrets dès aujourd’hui. 
 
 Plusieurs élèves dans la communauté ont commencé dès le lendemain de ce bonus créatif ur Kelly, à expérimenter dans ce sens, en simplifiant les formes et en s’exerçant à épurer.
 
Car au fond, simplifier n’est pas un style : c’est un exercice du regard.
Et c’est un des plus puissants que vous puissiez pratiquer aujourd’hui pour progresser.
 
Fragments de ciel à travers la fenêtre par Sandrine
Danse des parasols par Rolande après le bonus sur Ellsworth Kelly
travail de Rolande après le bonus sur Ellsworth Kelly
Un paysage de Betty
Un paysage de Monet simplifié par Anne-marie

1 affuter son regard

Apprendre à dessiner, ce n’est pas tout reproduire.
C’est saisir ce qui est structurel pour ne pas passer à côté de l’essentiel
 
Car le regard de l’artiste n’est pas un regard de description et de copie mais un travail de mémoire et de sélection.
 
Face à un sujet complexe, demandez-vous  :
  • Quelle est la forme d’ensemble ? 
  • Qu’est ce qui est de l’ordre du détail et de l’ordre de la structure ? 
  • Quelles sont les lignes dominantes ?
  • Quels sont les contrastes essentiels ?
 
Ce tri mental est un muscle visuel : plus vous l’entraînez, plus il devient précis.

gagner en impact

Montrer moins, c’est parfois montrer mieux.
Chaque élément compte davantage quand il est isolé et assumé.
 
Un dessin épuré :
  • capte plus rapidement l’attention
  • Frappe plus fort en transmettant une émotion, une idée ou un caractère
  • Et laisse place à l’interprétation du spectateur.

préserver l'unité d'ensemble

Le détail est un piège car il attire le regard, le détourne du sujet principal et ainsi déséquilibre la composition. 
Chez un autre atelier on dit que la composition “clignote” quand trop de détails attirent l’oeil.
 
En simplifiant vous 
  • Protégez l’harmonie globale de l’oeuvre
  • Laissez l’espace respirer,
  • et paradoxalement, le vide donne de la force à l’élément central de votre sujet. 
 

gérer son temps

Quand vous savez aller à l’essentiel, vous gagnez un temps fou ! 
Vous ne vous égarez plus dans les détails et vous pouvez traduire votre sujet, quelle que soit votre temps de travail. 
 
Cette compétence est précieuse pour :
  • Les pauses rapides de modèle vivant
  • Le carnet de voyage et le dessin sur le vif 
  • La travail de maquette de projets ambitieux
 

conclusion : apprendre à dessiner c'est aussi apprendre à éliminer

La simplification n’est pas un style minimaliste imposé,
C’est une attitude mentale : celle de l’artiste qui choisit ce qu’il montre, et pourquoi.
 

Et ça passe par un chemin d’affûtage du regard que vous soyez réaliste, abstrait, narratif ou tout ça à la fois.

Si vous voulez affûter votre regard et développer un oeil de dessinateur, rejoignez la communauté un autre atelier ! 

 
Et si vous êtes déjà abonné sur un autre atelier, retrouvez ici le bonus créatif d’après Ellsworth Kelly 
 
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Aristote

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